Le Women Skin Project a
débuté il y a un an et demi. L'idée était de trouver un autre
moyen de témoigner pour les femmes qui travaillaient avec moi.
Toutes, elles avaient traversé des agressions sexuelles, parfois des
violences conjugales, et elles avaient accepté de collaborer avec
moi pour l'exprimer d'une autre manière. Nous avons réfléchi
ensemble, pendant environ huit mois, sur la manière de construire
une forme de photo-reportage qui ne montrerait pas de visage, et qui
mettrait en jeu, dans ses caractéristiques mêmes, les notions de
pudeur, de peau, de marque imprimée sur l'épiderme, mais aussi
d'une possible reconstruction de l'humain.
Ce projet devait
permettre, d'abord, de mettre en scène une parole qui lorsqu'elle
passe par les mots, est parfois difficilement accueillie ; ensuite,
de montrer qu'il y a possibilité de reconstruction, sans oublier
toutefois l'ampleur de la souffrance qu'il faut traverser avant
d'être capable de vivre à nouveau. Les femmes qui travaillaient sur
ce projet avaient toutes reconstruit leur vie d'une manière ou d'une
autre, et nous désirions montrer ce qu'on oublie souvent dans le
statut de victime : qu'une victime est d'abord, avant d'être
vulnérable, quelqu'un qui fait la preuve d'une force de survie hors
du commun.
Ce qui m'intéressait,
je l'ai trouvé dans la photographie
de La chemise de l'Empereur Maximilien du Mexique après
son exécution, qui date de
1867. On ne voyait rien de la violence de la mort donnée :
simplement une chemise un peu trouée, un peu tachée. Le potentiel
émotif de cette photographie était énorme. Chacune de ces femmes
me donna alors un vêtement qui, pour elles, signifiait quelque
chose, était associé à leur histoire, à leur traumatisme, à leur
reconstruction.
Je
choisis de photographier ces vêtements en utilisant la technique du
collodion humide. Le
collodion humide, initialement, n'était pas utilisé comme émulsion
photographique ; il était utilisé sous la forme du “collodion
chirurgical”, pour soigner les fractures, les brûlures, pour aider
à la cicatrisation des plaies et à leur protection, car en séchant,
il devient comme une seconde peau fortement adhésive.
Pour moi, il y avait quelque chose de l'ordre du corps et de
l'organique dans le collodion photographique, mais surtout, quelque
chose de l'ordre de la cicatrisation. En présentant simplement des
reliques, des vêtements évidés mais chargés de l'histoire du
corps qui les a portés, je pouvais traiter d'un sujet qui
nécessitait une pudeur infinie sans montrer ni corps, ni visage.
=> Que reste-t-il quand la féminité, comme construction sociale et intime, entre dans un cas-limite? Que reste-t-il quand son image d'elle-même en tant que femme, image culturelle autant qu'organique, bascule sous le coup de situations extrêmes - violence physique, violence psychologique, emprisonnement ? Comment l'exprimer sans être bavard ? Comment l'étude des cas-limites de la féminité peut-elle nous renseigner sur ce que c'est, devenir-femme ?
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